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La Legende des Siecles, a non-fiction book by Victor Hugo

Aymerillot

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________________________________________________
_ Charlemagne, empereur a la barbe fleurie,
Revient d'Espagne; il a le coeur triste, il s'ecrie:
--Roncevaux! Roncevaux! o traitre Ganelon!
Car son neveu Roland est mort dans ce vallon
Avec les douze pairs et toute son armee.
Le laboureur des monts qui vit sous la ramee
Est rentre chez lui, grave et calme, avec son chien;
Il a baise sa femme au front et dit: C'est bien.
Il a lave sa trompe et son arc aux fontaines;
Et les os des heros blanchissent dans les plaines.
Le bon roi Charle est plein de douleur et d'ennui;
Son cheval syrien est triste comme lui.
Il pleure; l'empereur pleure de la souffrance
D'avoir perdu ses preux, ses douze pairs de France,
Ses meilleurs chevaliers qui n'etaient jamais las,
Et son neveu Roland, et la bataille, helas!
Et surtout de songer, lui, vainqueur des Espagnes,
Qu'on fera des chansons dans toutes ces montagnes
Sur ses guerriers tombes devant des paysans,
Et qu'on en parlera plus de quatre cents ans!

Cependant il chemine; au bout de trois journees
Il arrive au sommet des hautes Pyrenees.
La, dans l'espace immense il regarde en revant;
Et sur une montagne, au loin, et bien avant
Dans les terres, il voit une ville tres forte,
Ceinte de murs avec deux tours a chaque porte.
Elle offre a qui la voit ainsi dans le lointain
Trente maitresses tours avec des toits d'etain,
Et des machicoulis de forme sarrasine
Encor tout ruisselants de poix et de resine.
Au centre est un donjon si beau, qu'en verite
On ne le peindrait pas dans tout un jour d'ete.
Ses creneaux sont scelles de plomb, chaque embrasure
Cache un archer dont l'oeil toujours guette et mesure.
Ses gargouilles font peur, a son faite vermeil
Rayonne un diamant gros comme le soleil,
Qu'on ne peut regarder fixement de trois lieues.

Sur la gauche est la mer aux grandes ondes bleues,
Qui jusqu'a cette ville apporte ses dromons.

Charle, en voyant ces tours tressaille sur les monts.

--Mon sage conseiller, Naymes, duc de Baviere,
Quelle est cette cite pres de cette riviere?
Qui la tient la peut dire unique sous les cieux.
Or, je suis triste, et c'est le cas d'etre joyeux.
Oui, dusse-je rester quatorze ans dans ces plaines,
0 gens de guerre, archers compagnons, capitaines,
Mes enfants! mes lions! saint Denis m'est temoin
Que j'aurai cette ville avant d'aller plus loin!--

Le vieux Naymes frissonne a ce qu'il vient d'entendre.

--Alors, achetez-la, car nul ne peut la prendre,
Elle a pour se defendre, outre ses Bearnais,
Vingt mille Turcs ayant chacun double harnais.
Quant a nous, autrefois, c'est vrai, nous triomphames;
Mais, aujourd'hui, vos preux ne valent pas des femmes,
Ils sont tous harasses et du gite envieux,
Et je suis le moins las, moi qui suis le plus vieux.
Sire, je parle franc et je ne farde guere.
D'ailleurs, nous n'avons point de machines de guerre;
Les chevaux sont rendus, les gens rassasies;
Je trouve qu'il est temps que vous vous reposiez,
Et je dis qu'il faut etre aussi fou que vous l'etes
Pour attaquer ces tours avec des arbaletes.

L'empereur repondit au duc avec bonte:
--Duc, tu ne m'as pas dit le nom de la cite?

--On peut bien oublier quelque chose a mon age.
Mais, sire, ayez pitie de votre baronnage;
Nous voulons nos foyers, nos logis, nos amours.
C'est ne jouir jamais que conquerir toujours.
Nous venons d'attaquer bien des provinces, sire,
Et nous en avons pris de quoi doubler l'empire.
Ces assieges riraient de vous du haut des tours.
Ils ont, pour recevoir surement des secours,
Si quelque insense vient heurter leurs citadelles,
Trois souterrains creuses par les Turcs infideles,
Et qui vont, le premier, dans le val de Bastan,
Le second, a Bordeaux, le dernier, chez Satan.

L'empereur, souriant, reprit d'un air tranquille:
--Duc, tu ne m'as pas dit le nom de cette ville?

--C'est Narbonne.

--Narbonne est belle, dit le roi,
Et je l'aurai; je n'ai jamais vu, sur ma foi,
Ces belles filles-la sans leur rire au passage,
Et me piquer un peu les doigts a leur corsage.--

Alors, voyant passer un comte de haut lieu,
Et qu'on appelait Dreus de Montdidier.--Pardieu!
Comte, ce bon duc Naymes expire de vieillesse!
Mais vous, ami, prenez Narbonne, et je vous laisse
Tout le pays d'ici jusques a Montpellier;
Car vous etes le fils d'un gentil chevalier;
Votre oncle, que j'estime, etait abbe de Chelles;
Vous-meme etes vaillant; donc, beau sire, aux echelles!
L'assaut!

--Sire empereur, repondit Montdidier,
Je ne suis desormais bon qu'a congedier;
J'ai trop porte haubert, maillot, casque et salade;
J'ai besoin de mon lit, car je suis fort malade;
J'ai la fievre; un ulcere aux jambes m'est venu;
Et voila plus d'un an que je n'ai couche nu.
Gardez tout ce pays, car je n'en ai que faire.

L'empereur ne montra ni trouble ni colere.
Il chercha du regard Hugo de Cotentin;
Ce seigneur etait brave et comte palatin.

--Hugues, dit-il, je suis aise de vous apprendre
Que Narbonne est a vous; vous n'avez qu'a la prendre.

Hugo de Cotentin salua l'empereur.

--Sire, c'est un manant heureux qu'un laboureur!
Le drole gratte un peu la terre brune ou rouge
Et, quand sa tache est faite, il rentre dans son bouge.
Moi, j'ai vaincu Tryphon, Thessalus, Gaiffer;
Par le chaud, par le froid, je suis vetu de fer;
Au point du jour, j'entends le clairon pour antienne;
Je n'ai plus a ma selle une boucle qui tienne;
Voila longtemps que j'ai pour unique destin
De m'endormir fort tard pour m'eveiller matin,
De recevoir des coups pour vous et pour les votres,
Je suis tres fatigue. Donnez Narbonne a d'autres.

Le roi laissa tomber sa tete sur son sein.
Chacun songeait, poussant du coude son voisin.
Pourtant Charle, appelant Richer de Normandie:
--Vous etes grand seigneur et de race hardie,
Duc; ne voudrez-vous pas prendre Narbonne un peu?

--Empereur, je suis duc par la grace de Dieu.
Ces aventures-la vont aux gens de fortune.
Quand on a ma duche, roi Charle, on n'en veut qu'une.
L'empereur se tourna vers le comte de Gand.

--Tu mis jadis a bas Maugiron le brigand.
Le jour ou tu naquis sur la plage marine,
L'audace avec le souffle entra dans ta poitrine;
Bavon, ta mere etait de fort bonne maison;
Jamais on ne t'a fait choir que par trahison;
Ton ame apres la chute etait encor meilleure.
je me rappellerai jusqu'a ma derniere heure
L'air joyeux qui parut dans ton oeil hasardeux,
Un jour que nous etions en marche seuls tous deux,
Et que nous entendions dans les plaines voisines
Le cliquetis confus des lances sarrasines.
Le peril fut toujours de toi bien accueilli,
Comte; eh bien! prends Narbonne et je t'en fais bailli.

--Sire, dit le Gantois, je voudrais etre en Flandre.
J'ai faim, mes gens ont faim; nous venons d'entreprendre
Une guerre a travers un pays endiable;
Nous y mangions, au lieu de farine de ble,
Des rats et des souris, et, pour toutes ribotes,
Nous avons devore beaucoup de vieilles bottes.
Et puis votre soleil d'Espagne m'a hale
Tellement, que je suis tout noir et tout brule;
Et, quand je reviendrai de ce ciel insalubre
Dans ma ville de Gand avec ce front lugubre,
Ma femme, qui deja peut-etre a quelque amant,
Me prendra pour un Maure et non pour un Flamand!
J'ai hate d'aller voir la-bas ce qui se passe.
Quand vous me donneriez, pour prendre cette place,
Tout l'or de Salomon et tout l'or de Pepin,
Non! je m'en vais en Flandre, ou l'on mange du pain.

--Ces bons Flamands, dit Charle, il faut que cela mange.
Il reprit:

Ca, je suis stupide. Il est etrange
Que je cherche un preneur de ville, ayant ici
Mon vieil oiseau de proie, Eustache de Nancy.
Eustache, a moi! Tu vois, cette Narbonne est rude;
Elle a trente chateaux, trois fosses, et l'air prude;
A chaque porte un camp, et, pardieu! j'oubliais,
La-bas, six grosses tours en pierre de liais.
Ces douves-la nous font parfois si grise mine
Qu'il faut recommencer a l'heure ou l'on termine,
Et que, la ville prise, on echoue au donjon.
Mais qu'importe! es-tu pas le grand aigle?

--Un pigeon,
Un moineau, dit Eustache, un pinson dans la haie!
Roi, je me sauve au nid. Mes gens veulent leur paie;
Or, je n'ai pas le sou; sur ce, pas un garcon
Qui me fasse credit d'un coup d'estramacon;
Leurs yeux me donneront a peine une etincelle
Par sequin qu'ils verront sortir de l'escarcelle.
Tas de gueux! Quant a moi, je suis tres ennuye;
Mon vieux poing tout sanglant n'est jamais essuye;
Je suis moulu. Car, sire, on s'echine a la guerre;
On arrive a hair ce qu'on aimait naguere,
Le danger qu'on voyait tout rose, on le voit noir;
On s'use, on se disloque, on finit par avoir
La goutte aux reins, l'entorse aux pieds, aux mains l'ampoule,
Si bien qu'etant parti vautour, on revient poule.
Je desire un bonnet de nuit. Foin du cimier!
J'ai tant de gloire, o roi, que j'aspire au fumier.

Le bon cheval du roi frappait du pied la terre
Comme s'il comprenait; sur le mont solitaire
Les nuages passaient. Gerard de Roussillon
Etait a quelques pas avec son bataillon;
Charlemagne en riant vint a lui.

--Vaillant homme,
Vous etes dur et fort comme un Romain de Rome;
Vous empoignez le pieu sans regarder aux clous;
Gentilhomme de bien, cette ville est a vous!--

Gerard de Roussillon regarda d'un air sombre
Son vieux gilet de fer rouille, le petit nombre
De ses soldats marchant tristement devant eux,
Sa banniere trouee et son cheval boiteux.

--Tu reves, dit le roi, comme un clerc en Sorbonne.
Faut-il donc tant songer pour accepter Narbonne?

--Roi, dit Gerard, merci, j'ai des terres ailleurs.--

Voila comme parlaient tous ces fiers batailleurs
Pendant que les torrents mugissaient sous les chenes.

L'empereur fit le tour de tous ses capitaines;
Il appela les plus hardis, les plus fougueux,
Eudes, roi de Bourgogne, Albert de Perigueux,
Samo, que la legende aujourd'hui divinise,
Garin, qui, se trouvant un beau jour a Venise,
Emporta sur son dos le lion de Saint-Marc,
Ernaut de Bauleande, Ogier de Danemark,
Roger, enfin, grande ame au peril toujours prete.
Ils refuserent tous.

Alors, levant la tete,
Se dressant tout debout sur ses grands etriers,
Tirant sa large epee aux eclairs meurtriers,
Avec un apre accent plein de sourdes huees,
Pale, effrayant, pareil a l'aigle des nuees,
Terrassant du regard son camp epouvante,
L'invincible empereur s'ecria:
--Lachete!
O comtes palatins tombes dans ces vallees,
O geants qu'on voyait debout dans les melees,
Devant qui Satan meme aurait crie merci,
Olivier et Roland, que n'etes-vous ici!
Si vous etiez vivants, vous prendriez Narbonne,
Paladins! vous, du moins, votre epee etait bonne,
Votre coeur etait haut, vous ne marchandiez pas!
Vous alliez en avant sans compter tous vos pas!
O compagnons couches dans la tombe profonde,
Si vous etiez vivants, nous prendrions le monde!
Grand Dieu! que voulez-vous que je fasse a present?
Mes yeux cherchent en vain un brave au coeur puissant
Et vont, tout effrayes de nos immenses taches,
De ceux-la qui sont morts a ceux-ci qui sont laches!
Je ne sais point comment on porte des affronts
Je les jette a mes pieds, je n'en veux pas! Barons,
Vous qui m'avez suivi jusqu'a cette montagne,
Normands, Lorrains, marquis des marches d'Allemagne,
Poitevins, Bourguignons, gens du pays Pisan,
Bretons, Picards, Flamands, Francais, allez-vous-en!
Guerriers, allez-vous-en d'aupres de ma personne,
Des camps ou l'on entend mon noir clairon qui sonne
Rentrez dans vos logis, allez-vous-en chez vous,
Allez-vous-en d'ici, car je vous chasse tous!
Je ne veux plus de vous! Retournez chez vos femmes!
Allez vivre caches, prudents, contents, infames!
C'est ainsi qu'on arrive a l'age d'un aieul.
Pour moi, j'assiegerai Narbonne a moi tout seul.
Je reste ici rempli de joie et d'esperance!
Et, quand vous serez tous dans notre douce France,
O vainqueurs des Saxons et des Aragonais!
Quand vous vous chaufferez les pieds a vos chenets,
Tournant le dos aux jours de guerres et d'alarmes,
Si l'on vous dit, songeant a tous vos grands faits d'armes
Qui remplirent longtemps la terre de terreur
--Mais ou donc avez-vous quitte votre empereur?
Vous repondrez, baissant les yeux vers la muraille:
--Nous nous sommes enfuis le jour d'une bataille,
Si vite et si tremblants et d'un pas si presse
Que nous ne savons plus ou nous l'avons laisse!--

Ainsi Charles de France appele Charlemagne,
Exarque de Ravenne, empereur d'Allemagne,
Parlait dans la montagne avec sa grande voix;
Et les patres lointains, epars au fond des bois,
Croyaient en l'entendant que c'etait le tonnerre.

Les barons consternes fixaient leurs yeux a terre.
Soudain, comme chacun demeurait interdit,
Un jeune homme bien fait sortit des rangs et dit:

--Que monsieur saint Denis garde le roi de France!
L'empereur fut surpris de ce ton d'assurance.
Il regarda celui qui s'avancait, et vit,
Comme le roi Sauel lorsque apparut David,
Une espece d'enfant au teint rose, aux mains blanches,
Que d'abord les soudards dont l'estoc bat les hanches
Prirent pour une fille habillee en garcon,
Doux, frele, confiant, serein, sans ecusson
Et sans panache, ayant, sous ses habits de serge,
L'air grave d'un gendarme et l'air froid d'une vierge.

--Toi, que veux-tu, dit Charle, et qu'est-ce qui t'emeut?

--Je viens vous demander ce dont pas un ne veut,
L'honneur d'etre, o mon roi, si Dieu ne m'abandonne,
L'homme dont on dira: C'est lui qui prit Narbonne.

L'enfant parlait ainsi d'un air de loyaute,
Regardant tout le monde avec simplicite.

Le Gantois, dont le front se relevait tres vite,
Se mit a rire, et dit aux reitres de sa suite:
-He! c'est Aymerillot, le petit compagnon.

--Aymerillot, reprit le roi, dis-nous ton nom.

--Aymery. Je suis pauvre autant qu'un pauvre moine.
J'ai vingt ans, je n'ai point de paille et point d'avoine,
Je sais lire en latin, et je suis bachelier.
Voila tout, sire. Il plut au sort de m'oublier
Lorsqu'il distribua les fiefs hereditaires.
Deux liards couvriraient fort bien toutes mes terres,

Mais tout le grand ciel bleu n'emplirait pas mon coeur.
J'entrerai dans Narbonne et je serai vainqueur.
Apres, je chatierai les railleurs, s'il en reste.

Charles, plus rayonnant que l'archange celeste,
S'ecria:

--Tu seras, pour ce propos hautain,
Aymery de Narbonne et comte palatin,
Et l'on te parlera d'une facon civile.
Va, fils!

Le lendemain Aymery prit la ville. _

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