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La Legende des Siecles, a non-fiction book by Victor Hugo

Le Mariage De Roland

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_ Ils se battent--combat terrible!--corps a corps.
Voila deja longtemps que leurs chevaux sont morts;
Ils sont la seuls tous deux dans une ile du Rhone.
Le fleuve a grand bruit roule un flot rapide et jaune,
Le vent trempe en sifflant les brins d'herbe dans l'eau.
L'archange saint Michel attaquant Apollo
Ne ferait pas un choc plus etrange et plus sombre.
Deja, bien avant l'aube, ils combattaient dans l'ombre.
Qui, cette nuit, eut vu s'habiller ces barons,
Avant que la visiere eut derobe leurs fronts,
Eut vu deux pages blonds, roses comme des filles.
Hier, c'etaient deux enfants riant a leurs familles,
Beaux, charmants;--aujourd'hui, sur ce fatal terrain,
C'est le duel effrayant de deux spectres d'airain,
Deux fantomes auxquels le demon prete une ame,
Deux masques dont les trous laissent voir de la flamme.
Ils luttent, noirs, muets, furieux, acharnes.
Les bateliers pensifs qui les ont amenes
Ont raison d'avoir peur et de fuir dans la plaine,
Et d'oser, de bien loin, les epier a peine:
Car de ces deux enfants, qu'on regarde en tremblant,
L'un s'appelle Olivier et l'autre a nom Roland.

Et, depuis qu'ils sont la, sombres, ardents, farouches
Un mot n'est pas encor sorti de ces deux bouches.

Olivier, sieur de Vienne et comte souverain,
A pour pere Gerard et pour aieul Garin.
Il fut pour ce combat habille par son pere.
Sur sa targe est sculpte Bacchus faisant la guerre
Aux Normands, Rollon ivre, et Rouen consterne,
Et le dieu souriant par des tigres traine,
Chassant, buveur de vin, tous ces buveurs de cidre.
Son casque est enfoui sous les ailes d'une hydre;
Il porte le haubert que portait Salomon;
Son estoc resplendit comme l'oeil d'un demon;
Il y grava son nom afin qu'on s'en souvienne;
Au moment du depart, l'archeveque de Vienne
A beni son cimier de prince feodal.
Roland a son habit de fer, et Durandal.

Ils luttent de si pres avec de sourds murmures,
Que leur souffle apre et chaud s'empreint sur leurs armures.
Le pied presse le pied; l'ile a leurs noirs assauts
Tressaille au loin; l'acier mord le fer; des morceaux
De heaume et de haubert, sans que pas un s'emeuve,
Sautent a chaque instant dans l'herbe et dans le fleuve;
Leurs brassards sont rayes de longs filets de sang
Qui coule de leur crane et dans leurs yeux descend.
Soudain, sire Olivier, qu'un coup affreux demasque,
Voit tomber a la fois son epee et son casque.
Main vide et tete nue, et Roland l'oeil en feu!
L'enfant songe a son pere et se tourne vers Dieu.
Durandal sur son front brille. Plus d'esperance!
--Ca, dit Roland, je suis neveu du roi de France,
Je dois me comporter en franc neveu de roi.
Quand j'ai mon ennemi desarme devant moi,
Je m'arrete. Va donc chercher une autre epee,
Et tache, cette fois, qu'elle soit bien trempee.
Tu feras apporter a boire en meme temps,
Car j'ai soif.

--Fils, merci, dit Olivier.

--J'attends,

Dit Roland, hate-toi.

Sire Olivier appelle
Un batelier cache derriere une chapelle.

--Cours a la ville, et dis a mon pere qu'il faut
Une autre epee a l'un de nous, et qu'il fait chaud.

Cependant les heros, assis dans les broussailles,
S'aident a delacer leurs capuchons de mailles,
Se lavent le visage, et causent un moment.
Le batelier revient, il a fait promptement;
L'homme a vu le vieux comte; il rapporte une epee
Et du vin, de ce vin qu'aimait le grand Pompee
Et que Tournon recolte au flanc de son vieux mont.
L'epee est cette illustre et fiere Closamont,
Que d'autres quelquefois appellent Haute-Claire.
L'homme a fui. Les heros achevent sans colere
Ce qu'ils disaient, le ciel rayonne au-dessus d'eux;
Olivier verse a boire a Roland; puis tous deux
Marchent droit l'un vers l'autre, et le duel recommence.
Voila que par degres de sa sombre demence
Le combat les enivre, il leur revient au coeur
Ce je ne sais quel dieu qui veut qu'on soit vainqueur,
Et qui, s'exasperant aux armures frappees,
Mele l'eclair des yeux aux lueurs des epees.

Ils combattent, versant a flots leur sang vermeil.
Le jour entier se passe ainsi. Mais le soleil
Baisse vers l'horizon. La nuit vient.

--Camarade,
Dit Roland, je ne sais, mais je me sens malade.
Je ne me soutiens plus, et je voudrais un peu
De repos.

--Je pretends, avec l'aide de Dieu,
Dit le bel Olivier, le sourire a la levre,
Vous vaincre par l'epee et non point par la fievre.
Dormez sur l'herbe verte; et, cette nuit, Roland,
je vous eventerai de mon panache blanc.
Couchez-vous et dormez.

--Vassal, ton ame est neuve,
Dit Roland. Je riais, je faisais une epreuve.
Sans m'arreter et sans me reposer, je puis
Combattre quatre jours encore, et quatre nuits.

Le duel reprend. La mort plane, le sang ruisselle.
Durandal heurte et suit Closamont; l'etincelle
Jaillit de toutes parts sous leurs coups repetes.
L'ombre autour d'eux s'emplit de sinistres clartes.
Ils frappent; le brouillard du fleuve monte et fume;
Le voyageur s'effraie et croit voir dans la brume
D'etranges bucherons qui travaillent la nuit.

Le jour nait, le combat continue a grand bruit;
La pale nuit revient, ils combattent; l'aurore
Reparait dans les cieux, ils combattent encore.

Nul repos. Seulement, vers le troisieme soir,
Sous un arbre, en causant, ils sont alles s'asseoir;
Puis ont recommence.

Le vieux Gerard dans Vienne
Attend depuis trois jours que son enfant revienne.
Il envoie un devin regarder sur les tours;
Le devin dit: Seigneur, ils combattent toujours.

Quatre jours sont passes, et l'ile et le rivage
Tremblent sous ce fracas monstrueux et sauvage.
Ils vont, viennent, jamais fuyant, jamais lasses,
Froissent le glaive au glaive et sautent les fosses,
Et passent, au milieu des ronces remuees,
Comme deux tourbillons et comme deux nuees.
O chocs affreux! terreur! tumulte etincelant!
Mais enfin Olivier saisit au corps Roland,
Qui de son propre sang en combattant s'abreuve,
Et jette d'un revers Durandal dans le fleuve.

--C'est mon tour maintenant, et je vais envoyer
Chercher un autre estoc pour vous, dit Olivier.
Le sabre du geant Sinnagog est a Vienne.
C'est, apres Durandal, le seul qui vous convienne.
Mon pere le lui prit alors qu'il le defit.
Acceptez-le.

Roland sourit.--Il me suffit
De ce baton.--Il dit, et deracine un chene.

Sire Olivier arrache un orme dans la plaine
Et jette son epee, et Roland, plein d'ennui,
L'attaque. Il n'aimait pas qu'on vint faire apres lui
Les generosites qu'il avait deja faites.

Plus d'epee en leurs mains, plus de casque a leurs tetes.
Ils luttent maintenant, sourds, effares, beants,
A grands coups de troncs d'arbre, ainsi que des geants.

Pour la cinquieme fois, voici que la nuit tombe.
Tout a coup Olivier, aigle aux yeux de colombe,
S'arrete et dit:

-Roland, nous n'en finirons point.
Tant qu'il nous restera quelque troncon au poing,
Nous lutterons ainsi que lions et pantheres.
Ne vaudrait-il pas mieux que nous devinssions freres?
Ecoute, j'ai ma soeur, la belle Aude au bras blanc,
Epouse-la.

-Pardieu! je veux bien, dit Roland.
Et maintenant buvons, car l'affaire etait chaude.--

C'est ainsi que Roland epousa la belle Aude. _

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